15/11/2013
Henry Roth : Un rocher sur l’Hudson
Henry Roth (1906-1995) est un écrivain américain. Né en Europe centrale, il émigre vers les États-Unis à l'âge de trois ans avec sa famille et passe son enfance au sein de la communauté juive de New York. Son premier roman, L'Or de la terre promise, publié en 1934 passe inaperçu. Henry Roth laisse alors de côté ses ambitions littéraires et épouse, en 1939, Muriel Parker, fille d'un pasteur baptiste et pianiste qui renoncera à sa carrière pour l'accompagner dans l'État du Maine où il exerce plusieurs métiers (garde forestier, infirmier dans un hôpital psychiatrique, aide plombier…). Henry Roth sombre dans une dépression chronique. C'est en 1964, soit trente ans après, que L'Or de la terre promise est réédité et vendu à plus d'un million d'exemplaires. Ce succès inattendu convainc l'auteur de se remettre à écrire. En 1994, soixante ans après la publication de son premier roman, A la merci d'un courant violent sort en librairie, premier volume d’une autobiographie qui en comprendra cinq, Un rocher sur l’Hudson, La Fin de l’exil, Requiem pour Harlem et enfin Un Américain, un vrai. Initialement prévue en six tomes, l’œuvre d’Henry Roth restera inachevée.
Dans Un rocher sur l’Hudson, paru en 1995, nous retrouvons Ira Stigman l’alias d’Henry Roth dans le New York des années 1920. L’enfant est devenu un adolescent, introverti et mal dans sa peau, ne sachant jamais où est sa place. Victimes de brimades à l’école, il se venge en volant ses camarades mais ses larcins découverts, il est exclus de l’établissement à la plus grande honte de ses parents ce qui nous vaut quelques belles scènes de ménages désopilantes avec l’accent yiddish (« Je vais lui donner à manger, moi ! s’écria Pa en faisant claquer son journal. Du chagrin haché menu, oui ! »). Ira va alors enchaîner les petits jobs, garçon de bureau (viré), vendeur dans une boutique de jouets (démissionne), receveur de bus (comme jadis son père) et vendeur de sodas dans un stade, avant de reprendre les cours dans un nouvel établissement.
La vie d’Ira Stigman semble suivre un chemin presque banal, jusqu’à ce qu’Henry Roth lâche abruptement page 170, qu’il a une sœur cadette (lui 17 et elle 14 ans), alors que Minnie n’avait jamais été évoquée et que nous en sommes au tome second de ses mémoires, mais le réel coup de théâtre suit, il a des rapports incestueux avec elle ! En général le dimanche matin, seul créneau où leurs parents sont absents de l’appartement. Obsédé par le sexe, Ira poussera le bouchon jusqu’à avoir des rapports du même genre avec sa jeune cousine Stella. Ses pulsions sexuelles assouvies, encore que, il se fait deux amis. Billy avec lequel il fait du camping et du canoë, donc vie au grand air et sport et surtout Larry. Celui-ci, intellectuellement plus mûr, poète, issu de la bourgeoisie dont il veut s’éloigner, a une liaison avec sa prof de lettres, Edith Welles. A leur contact, Ira est introduit un peu contre son gré, dans un petit cercle littéraire. Quand le bouquin s’achève, Ira voit l’un de ses textes - un devoir mal noté par son professeur, pour n’avoir pas respecté l’énoncé, mais reconnu intrinsèquement de qualité – publié dans la revue trimestrielle du collège. Pour Ira, désormais la voie est tracée, adieu les cours de biologie, sa vraie vie est ailleurs, il écrira.
Ce second volet des mémoires d’Henry Roth respecte la forme narrative que nous avions découverte précédemment, Ira qui se raconte, Henry qui le raconte et Ecclésiaste qui intervient régulièrement, personnification de sa conscience. Le coup de théâtre « qu’il n’avait jamais eu l’intention de révéler », donne un poids bien particulier à ce livre, plaçant le lecteur dans une situation souvent inconfortable, celle du témoin involontaire des aveux intimes d’un homme qui ne peut s’empêcher d’écrire, ce qu’il ne voudrait pas dire. Il y a là une dimension psychanalytique affolante accentuée par la forme narrative, Roth discutant avec Ecclésiaste des motivations d’Ira, quel niveau du « moi » de Roth veut avouer, quel autre veut cacher, sachant qu’au final le bouquin a quand même été édité ! Epoustouflant.
La dernière partie du livre ouvre les portes pour la suite, Ira sait qu’il va écrire et introduit le personnage d’Edith Welles qui logiquement devrait prendre une envergure supérieure ensuite, puisque ce pseudo voulu par l’écrivain dissimule dans la vraie vie, Ida Lou Walton avec laquelle vivra un certain temps Henry Roth…
« -Tu as commencé par rédiger un premier jet sans ta sœur, et, inéluctablement, elle a fini par s’insérer dans ton récit, aussi étrange, aussi bizarre que puisse paraître le fait de commettre un inceste sans mentionner l’existence d’une sœur, en tout cas au début. Tu as amputé le début de ton histoire, et il va falloir que tu fasses amende honorable. Une force qui a exercé une telle influence dans ta vie ne peut pas être étouffée. – J’avais espéré, une fois que j’aurai fini, après que j’aurais déballé toute cette misère, l’introduire sous la forme d’un autre personnage… - Dans ce cas-là, tu te retrouvais avec une histoire boiteuse. (…) Décharge ta conscience. Il est évident que tu ne peux pas faire autrement, car tu n’es pas différent de celui que tu étais… »
Henry Roth Un rocher sur l’Hudson Editions de l’Olivier
Traduit de l’américain par Michel Lederer
14:09 Publié dans Etrangers | Tags : henry roth | Lien permanent | Commentaires (0) | Facebook |